Les usines bulgares tournent à plein régime pour fournir discrètement des munitions à l’Ukraine


Le 22/03/2023 à 7:59


Une ligne de fabrication d’obus de l’usine d’Arsenal à Kazanlak en Bulgarie – DIMITAR DILKOFF

Officiellement la Bulgarie n’exporte pas d’armes vers l’Ukraine. Ses usines de l’ère communiste fonctionnent pourtant à plein régime et elles embauchent à tour de bras.

La Bulgarie fournit-elle des armes à l’Ukraine? Officiellement, non du fait de sa proximité historique avec la Russie. Pourtant, ses usines fonctionnent à plein régime et elles embauchent à tour de bras. L’an dernier, les exportations du secteur ont frôlé les 4 milliards d’euros, selon des estimations – soit le triple du précédent record de 2017. La Pologne et la Roumanie font office d’intermédiaires, sur la route vers l’Ukraine.

Depuis l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022, une vallée du centre du pays, blottie au pied de la chaîne des Balkans, n’a jamais aussi bien porté son surnom: « Guns and Roses ». Les vastes champs de roses y côtoient en effet la fabrication d’armements. Laminée après l’effondrement du bloc soviétique en 1989, l’industrie avait connu une renaissance dans les années 2010, à la faveur des conflits au Moyen-Orient. Rien de comparable toutefois à la situation actuelle.

La « Kalachnikov bulgare »

A Kazanlak, les ouvriers se pressent devant l’entreprise privée Arsenal, qui compte quelque 7000 salariés.

« On nous a assuré qu’il y aurait des commandes pour au moins cinq ans! », lance une quadragénaire ayant décroché un CDD renouvelable qui chaque jour voit arriver de nouvelles têtes.

Armements produits par l’usine d’armement Arsenal © Nikolay DOYCHINOV

Kazanlak a affiché l’an passé un taux de chômage de 2,37% », deux fois moins que la moyenne du pays. Les carnets de commandes d’Arsenal, où est notamment fabriquée la « Kalachnikov bulgare », réputée pour son bon rapport qualité-prix, « tirent l’activité de toute la ville », souligne Yordan Ignatov, vice-président de la chambre de commerce locale. Les commerçants voient affluer les clients, comme les agences immobilières: « tout ce qui se construit s’achète », assure Teodor Tenev.

Thierry Breton visite une usine d’obus

Spécialiste des munitions pour armes soviétiques, la Bulgarie veut désormais moderniser ses infrastructures de l’ère communiste pour les mettre aux standards de l’Otan, dont elle est membre depuis 2004. Cette modernisation est financièrement appuyée par des fonds européens. L’UE a débloqué lundi deux milliards d’euros pour accélérer la production pour l’Ukraine.

Thierry Breton, commissaire européen en charge de l’industrie, était de passage la semaine dernière en Bulgarie pour visiter l’entreprise VMZ de Sopot, dans la même région. Lors d’une séquence à l’abri des médias, il a notamment visité les lignes de production d’obus de 155 mm, dont l’armée ukrainienne manque cruellement pour ses canons.

Car le sujet est très sensible. Quand le conflit a éclaté, le Premier ministre pro-européen Kiril Petkov a manoeuvré en coulisses pour épauler Kiev, « à un moment décisif pour l’Ukraine », explique l’ex-ministre de la Défense Todor Tagarev. Kiril Petkov a même affirmé au quotidien allemand Die Welt, qu' »un tiers des munitions dont avait besoin l’Ukraine dans la première phase de la guerre venaient de Bulgarie », via des pays tiers.

Refus d’afficher publiquement son aide

Après la chute de son cabinet en juin 2022, alors que le pays reste enlisé dans une crise politique, les gouvernements intérimaires n’ont pas entravé les contrats commerciaux existants, malgré les fortes réticences des socialistes et des ultra-nationalistes. A l’exception d’un seul envoi autorisé par le Parlement, Sofia n’a jamais livré directement d’armes à Kiev et n’a pas signé la déclaration commune européenne sur les munitions.

Le colonel à la retraite Vladimir Milenski regrette que la Bulgarie refuse d’afficher publiquement son aide. « Cela aurait envoyé un signal politique fort, montrant que nous ne sommes pas un pion politique de Moscou », dit-il.

« Appartenir à l’UE et à l’Otan mais ménager les intérêts de la Russie revient de fait à soutenir l’agresseur », lâche-t-il, sans espoir que les nouvelles législatives du 2 avril changent la donne.

PS avec AFP

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