par Sophie LAMBILLIOTTE Lettre ouverte à Emmanuel Macron


Monsieur le Président,
J’en appelle à Zola pour vous exprimer mon total désarroi face aux mensonges éhontés et à la répression
maintenant préventive qui endeuillent un pays qui fut pourtant berceau des Droits de l’homme.
« (…) Quelle tache de boue sur votre nom – j’allais dire sur votre règne – que cette abominable affaire [de
la répression des gilets jaunes ! Même l’ONU s’en affole ! Une loi inique vient d’être soumise à
l’assemblée] par ordre, (…) soufflet suprême à toute vérité, à toute justice, [soufflet au droit de
manifester]. Et c’est fini, la France a sur la joue cette souillure, l’histoire écrira que c’est sous votre
présidence qu’un tel crime social a pu être commis.
Puisqu’ils ont osé, j’oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j’ai promis de la dire, si la justice,
régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être
complice. (…)
Et c’est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte
d’honnête [femme]. Pour votre honneur, je [puis espérer] que vous l’ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je
la tourbe malfaisante (…), si ce n’est à vous, le premier magistrat du pays ? »
* *
*
« La vérité d’abord sur » les violences infligées à des civils par une force de l’ordre censée les protéger,
lors des manifestations des gilets jaunes, commencées le 19 novembre 2018. Il y eut plus de blessés
graves par la police en deux mois qu’en vingt ans !
A partir du 8 décembre, 89 000 policiers (dont deux tiers non formés au maintien de l’ordre) vont être
mobilisés dans toutes la France. C’est une première. Jamais un tel effectif n’avait encore été déployé
pour endiguer un mouvement populaire.
Le bilan est catastrophique :
– du côté des forces de l’ordre, le ministère de l’intérieur annonce plus d’un millier de blessés (sans
qu’il ne soit précisé le type de blessures) ; 13.460 tirs de LBD, 1.428 de grenades lacrymogènes
instantanées et 4.942 de grenades de désencerclement ont été tirés (comptabilité à la date du 21 mars) ;
– en face, plus de deux mille personnes blessées, défigurées ou handicapées à vie par une balle de
LBD 40, une grenade ou des coups de matraques ; ce sont des citoyens qui défilaient pacifiquement,
des manifestants mais aussi des journalistes, des « street-médics » ou de simples passants ; on décompte
au moins 1 décès, 222 blessures à la tête, 22 éborgnés, 5 mains arrachées, 4 blessures sur les parties
génitales… il y a 550 signalements, 37 mineurs sont blessés dont une dizaine très sérieusement !
– parallèlement, sont relatés des premiers soins interdits par les forces de l’ordre, des passages à
tabac systématiques, de trop nombreuses humiliations (notamment sur les femmes, insultées,
tirées au sol sur des dizaines de mètres)… 9.500 d’interpellations et 1.796 condamnations !
La violence devient systémique !

Mais tout cela ne sont que chiffres froids et mots de synthèse. Nous pouvons aussi tendre l’oreille du
coeur pour écouter les témoignages1 de vie dévoyée en quelques secondes :
« On s’est fait tabasser (…) D’ailleurs, peut-être à cinq-six mètres de nous, je vois des mecs qui
visent, mais jamais je n’imagine que c’est pour moi, je suis complètement pacifiste. C’était ma
première manif » raconte Philippe, 49 ans, chauffeur routier, maintenant éborgné et qui ne pourra
plus exercer son emploi. « Le Huit décembre, j’ai vu où s’arrêtait ma liberté ! »
« On m’a assené plusieurs coups de matraque télescopique, j’ai déclaré que j’étais de la presse et
que je faisais mon métier. Ils ont répondu qu’ils en avaient rien à faire et ils ont continué à
m’assener des coups jusqu’à ce que je perde connaissance », Victor, 20 ans, journaliste.
Agnes, 49 ans, la main presqu’emportée par un flash-ball, gravement blessée et insultée : « D’un coup,
je me suis tournée vers eux, j’ai vu un canon qui me visait, et là j’ai été mais… euh… sidérée quoi !
Mais pourquoi moi ? Qu’est-ce que… Pourquoi on me vise ? J’ai pas compris. (…) Y avait des policiers
en civil avec un brassard orange. Et là, ils m’ont dit : « Bien fait pour ta gueule, salope ! » et à mon
mari : « petit PD, connard ! » alors qu’on était en train de monter dans le camion des pompiers. »
Vous pouvez aussi entendre Vanessa, décoratrice sur verre, jeune femme de 34 ans maintenant
défigurée par un énorme trou au dessus de l’arcade sourcilière qui conclut son interview par : « Je ne
supporte plus de sortir toute seule. Je ne comprends pas pourquoi parce que je sais que personne ne
va me tirer dessus dans la rue mais… voilà ! la femme de trente-quatre ans est devenue une petite
fille de douze ans. C’est toute ma vie qui est impactée parce que, moralement, je suis anéantie. Il
n’est pas normal de se lever un matin, et… euh… d’aller juste marcher dans la rue… pour dire
« non » à certaines choses et de se faire tirer dessus ! (…) »
Une autre femme, Vitalia, 45 ans, témoigne de sa mâchoire maintenant bringuebalante et des suites
médicales lourdes. Elle raconte « le fait d’avoir le cerveau en miettes, la mémoire en miettes, on ne
reconnait pas notre vie… tout est en miettes en fait ! (…) C’est vraiment très difficile de retrouver
une cohérence, en fait, parce qu’on est brisés à plusieurs niveaux : émotionnel, cognitif, physique,
psychologique.»
Antoine, 25 ans, designer, est éborgné à vie, il était simple passant.
Le jeune Franck, 20 ans, lui aussi éborgné, ne s’imagine plus d’avenir : « Oh ! ben moi, ma vie elle
est détruite de toute façon ! (…) Je ne mange pas, je ne dors pas. A chaque fois que je veux dormir et
que je ferme les yeux, j’ai des flashs et je revois la scène. »
Et Jérôme, 40 ans, l’oeil gauche emporté et les pompiers qui se désolent : « Malheureusement, on ne
peut pas s’occuper de vous. On a des ordres. »
Ou David, 31 ans : « Je m’approche les deux bras en l’air, j’arrive et ils m’ont tiré en plein visage à
dix mètres de distance (…) C’était ma première manifestation ! »
Sans oublier l’éternel sourieur, Yann, qui rit en expliquant son sourire devenu édenté : « Je ne sais
pas si cela vous est déjà arrivé de rêver que vous perdez les dents. Ben là, c’était pareil, je perdais
des dents… sauf que je ne me suis pas réveillé (rire). (…) Pffff ! C’est bête mais, même dans
l’hôpital, ça sentait la lacrymo. Pour vous dire le nombre de blessés (petit rire… jaune encore !) Le
problème c’est que je ne peux peux pas en vouloir à tous les policiers mais… je leur en veux
beaucoup. Je leur en veux beaucoup, c’est plus fort que moi. Là, c’est quand je vois un képi, j’ai
envie d’aller lui montrer mon grand sourire (…) Ils sont censés être là pour nous protéger pas pour
nous taper dessus ! (…) après les petites gens comme nous, on se fait casser les dents, on se fait
crever un oeil. Ils ne le savent pas, ils s’en foutent. »

C’aurait pu être aussi le témoignage de David, Axel, Franck, Sylvain, Charline, Gwendal, Charlotte,
Benjamin, Samir, Lilian, Audrey, Lauranne, Kaïna, Thomas, Hannibal, Jean-Marc ou Eric, Charles
ou Clément, Gui, Oumar ou Doriana, Benoît dans le coma, Lison, Patricia… Ce florilège de
témoignages n’est malheureusement pas une liste exhaustive des victimes. Ils sont si nombreux, sur
ce mur jaune, tous défigurés et atteints dans leur intégrité !
Fermons cette partie avec un témoignage assez représentatif de la sidération qu’a pu vivre ces victimes,
cette foule en quête de justice sociale croyant en notre devise, « liberté, égalité, fraternité ». Voici
donc les mots d’Axelle Marquise, 28 ans, serveuse à Six-Fours, dans le Var. Elle descendait dans la
rue pour la première fois de sa vie. Elle a reçu au visage un tir de LBD. Depuis elle a perdu plus de 6 kg.
Terrorisée, elle n’ose plus sortir manifester. Elle a porté plainte contre X pour « violence aggravée avec
menace ou usage d’une arme » : « De plus en plus de personnes ont conscience que ces armes peuvent
mutiler et même tuer. Mais en même temps, je crains que le gouvernement trouve encore des excuses,
en prétendant que les manifestants sont violents, qu’ils n’avaient pas à être là ! ». Car ce discours
fait mouche et c’est effectivement bien ce qu’elle croyait, avant de le vivre elle-même : « Avant d’aller
en manifestation, je me disais que les personnes blessées avaient elles-mêmes commis des violences.
Je ne pensais pas qu’un manifestant lambda pouvait se faire tirer dessus. Mais aujourd’hui, quand je
vois les images de Fiorina, 20 ans, qui a perdu un oeil à cause d’un tir de Flash-Ball, j’ai des
frissons dans tout le corps et les larmes aux yeux : comment une fille si jeune, qui allait à sa
première manif, a-t-elle pu être mutilée de cette manière ? ».
Voilà les vérités qui se vivent au coeur de ce mouvement populaire. L’entendez-vous ?
A priori non puisque l’histoire se poursuit. Combien faudra-t-il encore de drames comme celui de
Geneviève Legay, militante pacifique, âgée de 73 ans, jetée à terre par la charge des CRS lors de la
manifestation du 23 mars à Nice. Elle est actuellement hospitalisée, avec de multiples fractures dont
plusieurs crâniennes. Vous avez affirmé, à l’instar du Procureur, Jean-Michel Prêtre, que « « Cette
dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre ». Pourtant les vidéos de CNews ou France3,
des photos de journalistes et des témoignages attestent le contraire. Ainsi en est-il de Bernard M.,
chef d’entreprise à la retraite, qui (selon Médiapart) affirme avoir vu Geneviève Legay « poussée par
un policier et son bouclier pendant la charge. Une fois à terre, un policier l’a traînée. Elle a reçu des
coups de pied. Et elle a été déplacée à deux mètres de sa chute, près d’un plot, d’un pylône ». Plus
inquiétante est la réaction des policiers qu’il alerte suite aux agissements de leur collègue : « On m’a
demandé de me taire. C’était effrayant. Je ne peux pas passer sous silence ce dont j’ai été témoin. ».
Doit-on taire aussi l’interdiction faite aux street-médics de porter secours à Geneviève Legay, bloqués à
quelques mètres de la blessée ? « On nous a empêché de faire ce pourquoi on était là, c’est ce
monsieur qui a l’écharpe tricolore, le commissaire divisionnaire. Même les policiers sur place
étaient outrés et ne savaient pas quoi faire. » assure Sabrina Belaïd, infirmière en hématologie à
l’hôpital l’Archet à Nice avant de relater les conditions de leur interpellation.
Doit-on taire encore les harcèlements subis par la victime, sur son lit d’hôpital, avec des forces de
l’ordre qui tentent de lui faire dire « qu’elle aurait été poussée par un cameraman » ? Ce n’est pas
l’avis d’Arié Alimi, l’avocat de la famille Legay, par ailleurs membre du bureau national de la Ligue
des Droits de l’Homme, qui vient de déposer une plainte pour subornation de témoin.
Alors ? Combien encore de victimes ? Combien encore de contre-vérités, de dénis et de « leçons de
sagesse » ? Combien d’arrestations ? Combien d’outrances ?

« Comment a-t-on pu espérer que » serait entendue la réalité sociale qui surgit avec les gilets jaunes,
la France des invisibles, celle de la précarité et « des fins de mois qui commencent le 9 » ? Cette
population est rendue invisible depuis des décennies. Les télés et radios, oublieuses de la précarité,
ont mis en scène les classes moyennes et les catégories socioprofessionnelles supérieures, bien trop
blanches, trop citadines et trop riches2. A en croire Pauline Rocafull, scénariste, « la France en tant
que telle ne se connaît pas, et les élites ne connaissent pas la France ». Et c’est bien dans cette
méconnaissance que s’ancre la stupéfaction face à l’ampleur sans précédent de ce mouvement populaire.
En effet, qui pouvait prévoir ?
– Les élites qui restent la plupart du temps dans leur entre-soi confortable et analyse le monde au
travers de rapports, dossiers et autres statistiques ? Elles ont oublié le prix d’un ticket de métro et
s’étonnent qu’on ne puisse plus manger au resto sans débourser deux cents euros (pour deux
personnes et sans le vin, n’est-ce pas) ! A force de clubs Bilderberg et de déjeuners au Siècle, elles
se sont complètement déconnectées des gens.
– Les précaires qui, honteux de leur misère, tentent de dissimuler au mieux leurs malheurs ? Ils
croyaient faire partie d’une « minable » petite minorité, isolés et coupables de ne pas pouvoir
assumer trois repas par jour à leur famille, coupables de ne pas trouver d’emploi stable et
correctement payé ! Ils ont vécus cachés, invisibles la plupart du temps. Comment pouvaient-ils
estimer qu’ils étaient si nombreux ?
– Les entre-deux qui savent bien que tout n’est pas si simple mais que, s’ils refusent la course et la
compétition, c’est eux qui seront écartés du jeu de la consommation ? La misère, ils la connaissent,
ils l’ont vu pas très loin de chez eux. C’est justement pour cela, pour s’en éloigner, qu’ils s’abstiennent
de la penser, encore moins de la compter.
Ainsi jaillit la surprise ! Sur les ronds-points se regroupent tous ceux qui espèrent juste vivre un peu
mieux, respirer de temps en temps, tous ceux qui n’en peuvent plus des taxes à outrance sur ceux qui
n’ont déjà plus rien.
Et ils se découvrent nombreux tous ces isolés, ces socialement invisibles. « Ah ! oui ? Toi aussi ? et
toi ? et encore toi ? toi, toi et toi ? ». Et ils se parlent, échangent, comparent. Et ils mesurent les
dégâts d’un système qui les paupérise toujours plus. Ils en oublient leurs différences pour fédérer leur
convergence. Ils cheminent « de la honte privée à la colère publique » selon les mots de François Ruffin.
Accusés de tous les maux, dénigrés sur les plateaux télé (des casseurs dangereux, « la peste brune en
gilet jaune »), le mouvement se poursuit néanmoins, soutenu par plus des trois quarts de la population.
Et quelle sera la réponse apportée ?
Un dispositif de sécurité totalement inédit face à l’acte IV : 80 000 hommes mobilisés, des blindés
prêts à stopper les manifestants, des arrestations préventives. Fusent les tirs de LBD ou de grenades
(lacrymogènes, assourdissantes, de désenclavement), de manière chaotique, parfois (souvent ?) en
dehors du respect des règles d’utilisation (grenades envoyées au dessus de la foule, cartouches tirées
vers les visages…).
La répression est sanglante, emportant avec elle mains arrachées, mâchoires fracturées, visages
éborgnés…. remportant aussi un nombre record d’interpellations, de gardes à vue, de déferrements
en justice, de condamnations sur des motifs dérisoires tels que la « participation à un groupement en
vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou dégradations de biens ». Les
mises en accusation reposent la plupart du temps sur des imprécisions, des délits mal caractérisés,
des procès verbaux bâclés, voire des dossiers vides comme celui de ce militant qui a écopé de six
mois de prison ferme pour avoir relayé une appel au blocage sur les réseaux sociaux. Après le délit
de solidarité, voici le délit de manifester !

Sur les médias qui accaparent l’antenne, pas un journaliste, pas un éditorialiste n’ose relater ces faits.
Bien au contraire, on accuse les gilets jaunes d’organiser l’affrontement, on insiste sur les propos de
l’exécutif qui envisage « des milliers de casseurs qui seraient là pour casser et pour tuer », on attise
la peur avec tous ces « révolutionnaires », « des chemises noires, des chemises brunes, des chemises
rouges ». Toutes les chaînes s’en font l’écho. Pourtant comme a pu l’observer David Dufresne « les
victimes ne sont plus issues du monde militant mais de toutes les franges de la population ». Ian, de
l’association Désarmons-les, le confirme « Ce sont des citoyens ordinaires, des gens qui travaillent et
qui ont une famille, et qui pour beaucoup descendent dans la rue pour la première fois pour défendre
leurs droits ». Avec un tel écart de perception du réel, le sentiment de trahison devient particulièrement
prégnant et ne fait que renforcer les volontés de poursuivre le mouvement pour se faire enfin entendre.
Rappelons que… vous nous avez assuré, Monsieur le Président le 1er décembre 2018, depuis le
sommet du G20, à Buenos Aires : « Je n’accepterai jamais la violence ! ». Le 10 janvier 2019, lors
du 20h, Georges Brenier, le spécialiste justice-police de TF1 affirme que tout va bien dans le meilleur
des mondes : « vu la violence inouïe des casseurs, il n’y a pas eu, à première vue en tout cas, de bavure,
pas de mort, pas de blessé grave. Et de l’avis de tous les experts, c’est la preuve de beaucoup de sangfroid
et de maîtrise. » Fait confirmé, le 16 janvier 2019, depuis Carcassonne, par votre Ministre de
l’Intérieur, Christophe Castaner, qui professait : « Moi, je ne connais aucun policier, aucun gendarme
qui ait attaqué des Gilets jaunes. »
Pourtant… dès le mois de décembre les blessés se comptent par centaines ; des personnes novices en
manifestations témoignent leur consternation face aux forces de l’ordre qui les prennent pour cible ;
des victimes racontent avoir été poursuivies dans les rues par la police ou visées alors qu’elles étaient
seules ; plus de la moitié disent être restées plusieurs heures en attente de soins, l’accès aux
ambulances étant bloqué… Quelle violence ! Au delà du traumatisme des graves blessures, s’ajoute
un ravage psychologique : pertes de sommeil, d’appétit, crises d’angoisse récurrentes, pleurs quotidiens,
terreurs nocturnes, paranoïa, envies de suicide…
Et face à ce désastre ? le déni médiatique et politique ! Comment se reconstruire quand votre propre
gouvernement et une grande partie de la société nient votre existence ?
Dans son rapport 2018, le défenseur des droits interroge déjà le « sentiment d’injustice et d’inégalité
qui est celui qui ressort du mouvement des gilets jaunes ». Suite à plusieurs enquêtes sur le maintien
de l’ordre des récentes manifestations, l’institution constate un bond de près de 24% des réclamations
liées à «la déontologie de la sécurité», dont la majorité concerne l’action de la police. Elle note que
les directives des autorités pour gérer la contestation sociale «semblent s’inscrire dans la continuité
des mesures de l’état d’urgence», régime d’exception qui a agi comme une « pilule empoisonnée »
venue « contaminer progressivement le droit commun, fragilisant l’État de droit ». Et lorsque Jacques
Toubon conclut à un «déficit de dialogue et de concertation dans la gestion de l’ordre public»,
Monsieur Castaner l’accuse de mener un «combat manifestement plus personnel que collectif».
Où est l’imposteur ?
Pendant ce temps, le débat sur les LBD s’intensifie. La France est un des seuls pays de l’Union
Européenne à utiliser cette arme controversée qui, employée comme arme d’attaque, occasionne des
blessures extrêmement graves qualifiées par médecins et autres soignants de « blessures de guerre ».
Ce que confirme Arié Alimi, avocat et membre de la ligue des droits de l’homme : « Chacune de ces
armes est cataloguée comme « matériel de guerre » par le code pénal ». Pourtant, c’est plus d’une
dizaine de milliers de tirs qui a été vomie sur la foule des manifestants. « La France, dans le maintien
de l’ordre, utilise du matériel de guerre contre les civils. ».
Et c’est pourquoi tant le Conseil de l’Europe que l’ONU appellent la France à suspendre l’usage des
LBD et condamnent l’usage « disproportionné » de la force par la police.

Le Conseil d’état reste sourd, pour ne pas dire impénétrable, et refuse d’interdire cette arme… malgré
tous ces appels de hautes institutions, ces alertes d’Amnesty International, de la Ligue des Droits de
l’Homme ou autres associations/ONG/collectifs citoyens, malgré les témoignages des mutilés qui
investissent les plateaux télé, malgré les marches et pétitions, malgré toute cette effervescence pour
interdire l’usage des LBD. Et vous, Monsieur le Président ? Quelle est votre position ?
Le 27 février 2019, vous préconisez pour esquiver l’utilisation du LBD « d’éviter d’avoir des gens qui
considèrent que le samedi après-midi est fait pour casser des vitrines, des institutions ou attaquer les
forces de l’ordre ». Est-ce de l’humour ou le fond de votre pensée politique ?
Quant aux arrestation abusives, pour enfoncer le clou en ce 12 mars 2019, le parlement vient d’adopter
la loi « anti-casseurs ». L’ONU avait pourtant estimé que le texte législatif n’était pas conforme au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Conseil de l’Europe, lui, avait « invité le
législateur à se garder d’introduire dans le droit commun des mesures inspirées de l’état d’urgence ».
Même au sein de votre majorité, craignant une atteinte au droit de manifester, une quinzaine de
députés se sont abstenus lors du vote de février (une première pour votre quinquennat !).
Et lorsque, le 7 mars, une jeune femme déplorait les entraves au droit de manifester au cours d’une
réunion du grand débat national, vous vous êtes indigné Monsieur le Président : « Ne parlez pas de
“répression” ou de “violences policières”, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit. ».
Effectivement ! Ils sont inacceptables… dans un état de droit ! Ou, comme le dirait Frédéric Lordon,
« ce ne sont pas ces mots, ce sont ces choses qui sont inacceptables ! »
Depuis le 19 novembre 2018, le bilan des gilets jaunes fait état de :
‣ 12 morts (dont 11 dans des accidents de circulations)
‣ 3 770 blessés (2 250 manifestants et 1 520 policiers) dont :
➡ 22 énucléés
➡ 5 mains arrachées
➡ 222 blessures à la tête
‣ 510 cas de violences policières présumées (sur au moins)
➡ 419 manifestants
➡ 57 journalistes
➡ 37 mineurs/lycéens
➡ 19 passants
➡ 18 « street médics »
‣ 13 460 tirs de LBD (au 2 mars)
‣ 83 enquêtes de l’IGPN/IGGN concernant les tirs de LBD
‣ 4 900 dossiers en justice :
➡ 1 300 comparutions immédiates
➡ 1 500 dossiers en attente
➡ 1 800 condamnations en trois mois
➡ 300 personnes placées sous mandat de dépôt
Est-ce imaginable dans un Etat de droit ?
L’acte XVIII des gilets jaunes s’est inscrit en parallèle avec la Marche du siècle pour le climat et la
Marche des solidarités contre les violences policières. C’était un appel à la convergence au moment
où se clôt le « grand débat national », débat largement décrédibilisé par une majorité des français.
Pour l’acte XIX, outre l’arsenal déjà mobilisé, votre Ministère de l’Intérieur met en place drones,
traceurs chimiques et autres gaz toxiques. Il appelle aussi l’armée en renfort. Est-ce donc la guerre
civile que souhaite votre gouvernement ?
Au sein même des forces de l’ordre des policiers s’en inquiètent, s’offusquant des méthodes que leurs
supérieurs leur imposent. Ceux qui s’étaient engagés avec au coeur la mission d’être les gardiens de
la paix sont accablés d’être devenus les symboles de la répression. Maltraités eux aussi, les suicides
se multiplient, marque de leur désespérance. Pourtant la seule réponse à leurs doléances reste :
Obéissez ! Obéissez aux ordres aberrants ! Obéissez aux cadences infernales ! Obéissez et, si besoin,
soyez le fusible à faire sauter pour couvrir les choix et politiques de vos supérieurs.

« Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure. »
En honnête et douce femme que je suis, faudrait-il que :
J’excuse le gouvernement pour son obstination à nier l’existence de toutes ces victimes ?
J’excuse notre Ministre de l’Intérieur et ses préfets de mobiliser contre la population près de 90 000
policiers, pour les deux tiers non formés au maintien de l’ordre et épuisés par les cadences exigées,
encourageant ainsi l’exaspération et les énervements délétères ? d’appeler l’armée en renfort contre
les civils qu’elle est censée protéger ?
J’excuse Monsieur Christophe Castaner3 qui criminalise la parole sociale et désigne des manifestants
pacifiques comme des émeutiers ? qui soutient ses policiers lorsqu’ils matraquent un député ? professe
des accusations sur le défenseur des droits et des semi-vérités pour propager doutes et complotisme ?
J’excuse son Secrétaire d’État, Laurent Nuñez, qui écarte tous les arguments présentés par le
défenseur des Droits (rapport de 56 pages de décembre 2018), et refuse, lors de la séance au Sénat du
17 janvier 2019, de suspendre l’utilisation des LBD, pourtant armes non-létales dont la dangerosité a
largement été dénoncée par l’Europe et que seule la France ose utiliser contre des civils ? J’excuse
ses propos caricaturaux quand il estime sur BFMTV que les attaques étaient «emblématique du
mouvement», dénonçant l’oeuvre de «hordes sauvages» et saluant la réaction des policiers qui ont
montré «un calme absolu du début à la fin malgré la violence» ?
J’excuse la Secrétaire d’Etat Marlène Schiappa, chargée de la lutte contre les discriminations, qui
jette de l’huile sur le feu dans l’affaire du boxeur Christophe Dettinger et, le 8 janvier sur France Info,
désigne comme complices tous ceux qui ont participé à sa cagnotte de soutien : « il serait souhaitable
de savoir qui a donné à cette cagnotte, parce que je crois que c’est une forme de complicité » ?
Donner les moyens à quelqu’un de se défendre serait-il devenu un crime ?
J’excuse cet essorage sémantique dont tous les communicants de complaisance ont usé et abusé,
détruisant par là même, notre plus bel outil de pensée, les nuances de la langue française ?
J’excuse les médias conventionnels d’avoir totalement occulté les graves violences et blessures faites
aux civils par la police, préférant mettre leur focus sur les « casseurs » ?
J’excuse qu’ils n’aient commencer à l’évoquer que deux mois plus tard (France-Inter le 11 janvier ;
Arte le 12 ; le 14 pour Libération, le Monde attendra le 16 janvier) ?
J’excuse Jean-Michel Apathie caractérisant Michelle Bachelet de « sous-secrétaire désoeuvrée »
alors qu’elle demande, en tant que haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU, une enquête
approfondie sur les violences policières lors du mouvement des Gilets Jaunes ?

J’excuse David Pujadas et ses 4 chroniqueurs qui, à l’unanimité sur LCI, s’étonnent : « Le monde a-til
perdu sa boussole ? », critiquent les institutions internationales et mettent en scène un vaste complot
étranger, avec complicités internes, jetant sans preuve le discrédit sur tous les lanceurs d’alerte de la
dérive autoritaire de l’Etat ?
J’excuse Luc Ferry, philosophe et ancien ministre – personne cultivée s’il en est, qu’on pourrait
penser mesuré – d’appeler, le 7 janvier 2019, les policiers à se servir « de leurs armes, une bonne
fois » contre les gilets jaunes, ces « salopards d’extrême gauche et d’extrême droite ou des
quartiers » et de conclure à la guerre civile : « On a la quatrième armée du monde, elle est capable
de mettre fin à ces saloperies. » ?
J’excuse Jean-Michel Prêtre, Procureur de la République, ou Christian Estrosi, Maire de Nice, qui , à
propos de Geneviève Legay, distordent l’information et la réalité des faits au gré de leurs intérêts :
« J’exclue une cause : j’exclue qu’elle se soit cassé la figure toute seule. […] Ce dont on est sûr aussi
à la vue des images, pixels par pixels, c’est qu’elle n’a pas été touchée par les forces de police, par
un bouclier ou par un homme » certifient le premier quand le second ose « C’est regrettable puisque
ce n’est pas dans un heurt avec la police. Elle a trébuché. (…) Ce sont des blessures superficielles. »
Ces mensonges éhontés sont maintenant mis en lumière, même par ceux qui les ont propagés.
J’excuse tous ces commentateurs pérorants, ces experts et intellectuels de plateau, ces politiciens
de la cause, etc. de dénier l’horreur de ces violences et diffuser leur propagande ?
Non, non, je n’excuse pas. D’ailleurs, tous ces « grands » noms ne demandent aucune excuse. Bien
trop imbus de leur personne et de leur titre, ils préjugent de leur haute autorité et se gaussent de ceux
qui ne sont rien. Au dessus de la foule, ils n’entendent plus la réalité des vies qu’ils ont en charge
d’informer ou de gouverner. Enfermés dans la bulle de leur entre-soi, ils se sont déconnectés du monde.
Par contre :
J’excuse et j’exquise toutes ces personnes valeureuses qui, samedi après samedi, malgré les violences,
les dénis, les contre-vérités, les outrances, les humiliations, les arrestations abusives, les procès
intentés, manifestent en gilet jaune et poursuivent inlassablement leur quête de justice sociale.
J’exquise tous les soutiens actifs au mouvement qui diffusent sur les réseaux sociaux et autres médias,
les vidéos et témoignages démontrant la réalité du terrain, la violence subie et l’omerta médiatique
ou les raccourcis partisans des chroniqueurs mainstream.
J’exquise Christophe Dettinger qui, suite à l’expression déplacée de sa juste colère lors de l’acte VIII
du 5 janvier 2019, a subi les outrances médiatiques et des compte-rendus menteurs de son dérapage.
Il paie aujourd’hui la foulure au bras et les quelques bleus infligés aux deux policiers par un an de
prison ferme, suivi de 18 mois de sursis et de mise à l’épreuve. Qu’en est-t-il de ceux qui ont lancé
en ce même jour et ce même lieu des grenades par dessus la foule, générant ainsi de nombreux
blessés et autres asphyxiés ?
J’exquise David Dufresne, qui, depuis le 4 décembre 2018, s’est attaché à recenser les témoignages
de blessés pendant les actes du mouvement des Gilets jaunes, dénonçant ainsi les brutalités policières
et les dérives du maintien de l’ordre.
J’exquise tous ces journalistes qui, au détriment de leur sécurité, sont allés enquêter sur le terrain et
ont eu le courage de relater ce qui se passait plutôt que d’attendre, bien au chaud, les dépêches
parfois erronées de l’AFP.
!9/!11
J’exquise tous les rédacteurs en chef des médias indépendants (Le Média, Bastamag, Reporterre,
Arrêt sur images, Acrimed et j’en passe) qui ont su lever le voile et proposer, à propos du
mouvement des gilets jaunes, une autre lecture que celles relatées sur les médias mainstream.
J’exquise toutes les collectifs, associations, ou autres ONG (voire certains partis politiques), qui ont
oeuvré pour amener dans le débat public le sujet des violences policières. A ce titre, citons entre
autres la Ligue des Droits de l’Homme (dans son communiqué sur l’usage des LGI et LBD du 7
décembre 2018) ; Human Rights Watch (rapport du 14 décembre 2018) ou encore Amnesty
international (enquête du 17 décembre 2018).
J’exquise ces trente-cinq ophtalmologues qui ont envoyé un courrier à l’Elysée pour témoigner
qu’ »une telle ‘épidémie’ de blessures oculaires gravissimes ne s’est jamais rencontrée » et, surpris de
ne recevoir aucune réponse, rendent public leur message : « Nous, ophtalmologistes dont la profession
est de prévenir et guérir les pathologies oculaires, demandons instamment un moratoire dans l’utilisation
de ces armes invalidantes au cours des actions de maintien de l’ordre ».
J’exquise le Défenseur des Droits d’oser rappeler que :
✴ « une accumulation de rapports et d’initiatives dénonce l’usage excessif de la force publique et
préconise l’interdiction des lanceurs de balles de défense » ;
✴ « d’autres doctrines d’emploi des forces de l’ordre existent, notamment en Europe pour pacifier le
maintien de l’ordre » ;
✴ « il y a urgence à réaffirmer le droit de manifester comme droit fondamental ».
J’exquise Michelle Bachelet, haut-commissaire des droits de l’homme de l’ONU et néanmoins
ancienne présidente du Chili et grande dame de la résistance face à Pinochet, de sa constance à
dénoncer l’inqualifiable quitte à subir insultes et dénigrements.
J’exquise le maire de Phalsbourg qui, au regard des préconisations du Conseil de l’Europe et de la
requête de l’ONU, pose un arrêté pour interdire les LBD lors de la manifestation organisée le 9 mars
sur sa commune. Puissent être nombreux ceux qui suivront cet exemple !
J’excuse et j’exquise… mais je pleure aussi pour toutes les humiliations subies, les vies brisées, les
injustices troublantes, je frémis face aux mensonges institutionnels et l’arrogance qui s’autorise et
invective, je ris de la résistance joyeuse qui s’organise, des nombreux citoyens qui fraternisent, de
l’éducation populaire qui s’active.
« En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la
loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je
m’expose.
Quant aux gens [que je n’excuse pas], je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux
ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte
que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au
bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour
d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour !
J’attends.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mon profond respect. »

PS : J’exquise tout particulièrement Frédéric Lordon, qui suite à votre invitation à participer au « grand débat prospectif » le 18 mars, vous répond : « Savez-vous que, à part les éditorialistes qui
vous servent de laquais et répètent en boucle que la démocratie c’est le débat… votre grand débat personne n’y croit. Vous même d’ailleurs, nous ne sommes pas certain que vous y croyez. Vous
détruisez le travail, vous détruisez les territoires, vous détruisez les vies et vous détruisez la planète.
Si vous vous n’avez plus de légitimité, le peuple lui a entièrement celle de résister à sa propre démolition. »
Témoignages (textes plus complets) :
Vanessa, décoratrice sur verre : « J’ai vu mon visage, au bout de deux trois jours… dans le miroir !
Ben, ça a été violent ! ça a été un choc ! On ne se reconnait pas tout simplement. Ça a été très dur de
voir ce qu’on m’a fait. Ce n’est plus nous qu’on a en face, dans le miroir. Moi j’avais quelqu’un
d’autre en face de moi et… euh… ça a été horrible ! J’ai passé une semaine horrible à me dire
« Comment je vais finir ? » (…)
On s’est rendu compte aussi, à la sortie de l’hôpital que j’avais perdu les trois quarts de ma vue au niveau
de l’oeil gauche. Le fait que ce soit ouvert et qu’il y ait eu une hémorragie et surtout toute l’arcade
cassés et tout l’os, ici (elle montre alors tout le contour de l’oeil), a entièrement été cassé. (…)
Je ne supporte plus ! Je supporte plus qu’on me touche, mon fil sur l’oeil, tout ça, voilà.
Je ne supporte plus de sortir toute seule. Je ne comprends pas pourquoi parce que je sais que
personne ne va me tirer dessus dans la rue mais… voilà ! la femme de trente-quatre ans est devenue
une petite fille de douze ans. C’est toute ma vie qui est impactée parce que, moralement, je suis
anéantie. Il n’est pas normal de se lever un matin, et… euh… d’aller juste marcher dans la rue…
pour dire « non » à certaines choses et de se faire tirer dessus ! (…)
Ce qui fait partie du traumatisme, c’est qu’on n’est pas considéré, on a été cachés. C’est ce silence
qui ronge, qui vraiment ronge. L’Etat, tous ces gens qui pourraient peut-être faire évoluer les choses,
ben… ils font rien du tout ! On veut une justice, c’est-à-dire, on veut déjà être reconnus comme
victimes : d’une agression injuste parce que c’est ce qui est ; d’une agression illégale pour la plupart
parce qu’on se fait tirer dans le visage donc c’est pas légal. »
Vitalia, 45 ans : « Et là, je vois que des matraques, j’ne vois même plus de corps, que des matraques
qui frappent qui frappent. Sur le moment, j’ai une grosse douleur, je pleure, beaucoup tellement que
j’ai mal. Je m’accroche au mur parce que je ne tiens plus debout, mes jambes ne répondent plus »
Elle poursuit en se tenant la mâchoire droite « Et comme en plus ça tient pas, c’est bringuebalant. Et
bien voilà, je sens une vulnérabilité en marchant, je sens que mon visage ne tient pas et j’ai peur
qu’on me refrappe en fait ! (…) On me diagnostique une triple fracture de la mâchoire,
zygomatiques, sinus et plancher orbitaires. Et, depuis peu, je fais des malaise vagaux où je perds
connaissance et on est en train de diagnostiquer probablement soit un oedème cérébral, soit un
traumatisme crânien. (…) Le fait d’avoir le cerveau en miettes, la mémoire en miettes, on ne
reconnait pas notre vie… tout est en miettes en fait ! (…) C’est vraiment très difficile de retrouver
une cohérence, en fait, parce qu’on est brisés à plusieurs niveaux : émotionnel, cognitif, physique,
psychologique.»
Antoine, 25 ans : « Là où j’étais, autour de moi, moi-même je ne voyais pas de policier, pas de CRS,
c’est pour ça d’ailleurs que je me sentais encore moins en danger. (…) Tous les matins, je me levais,
il y avait l’ophtalmo qui me regardait l’oeil et qui me disait « Tu vois quelque chose là ? », je lui
disais « non », il me disait « Bon ! OK ! C’est mal barré ! »… »
Franck, 20 ans, éborgné, ne se voit plus d’avenir : « Au moment où j’ai tourné la tête, j’ai reçu une
balle de LBD 40 (…) Quand j’étais à l’abri, j’ai vomi, j’ai vomi beaucoup de sang quand
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1 La 1ère partie du texte est composée à partir de la retranscription des témoignages issus de :
– « Gilets Jaunes : les blessés qui dérangent », présentée par Salomé Saqué sur la chaîne You Tube
« Le vent se lève » ;
– « Le terrible bilan de deux mois de violences policières », article du 19 janvier 2019, d’Émilie
Massemin pour Reporterre ;
– « Violences policières, violence d’état » par François Boulo ;
– « Chute de Geneviève Legay, 73 ans », particulièrement intéressante en introduction et à 3’30’’ ;
– Témoignage de Mélissa, 18 ans, street-médic, interdite de venir en aide à Geneviève Legay le 23 mars,
violemment matraquée et gazée par la suite, 7 personnes de son équipe de soignants interpellées ;
– « Empêchement et arrestation de street-médics » ;
– « Chute sanglante de Geneviève Legay » : la version d’Estrosi contredite par F3.
Merci à tous ces journalistes et leur équipe pour l’énorme et pertinent travail accompli.
Toute notre reconnaissance ainsi que nos encouragements et souhaits de meilleur rétablissement
possible à toutes les victimes de ces violences d’une guerre civile qui ne dit pas son nom.
2 Selon le baromètre de la diversité 2018 du CSA, sur les plateaux télé, les fictions, séries et autres
téléfilms, la France est bien trop blanche, trop citadine et trop riche ; la précarité n’existe quasi pas
(0,7% au lieu de 13%, soit presque vingt fois moins que dans la réalité économique). Ainsi le résume
Pauline Rocafull, scénariste : « les sujets qui mettraient des personnes en situation difficile ne sont
pas les plus appréciés en télévision, car il y a l’idée fausse mais très répandue dans les chaînes que les
classes sociales pauvres ou défavorisées n’ont pas envie de se voir à l’écran ».
3 Christophe Castaner qui professe le 16 janvier 2019, à Carcassonne : « Moi, je ne connais aucun
policier, aucun gendarme qui ait attaqué des Gilets jaunes. Par contre, je connais des policiers et des
gendarmes qui utilisent des moyens de défense de la République, de l’ordre public. », déclaration
faite alors que David Dufresne vient de twitter son 300ème signalement sur « Allô Place Beauvau,
c’est pour un bilan (provisoire) »
Le même qui, lors de la séance du 5 mars, à l’Assemblée Nationale, plutôt que de soutenir Loïc
Prud’homme, député de la République attaqué dans sa chair et sa fonction, matraqué impunément par
des CRS en quittant pacifiquement une manifestation, met en doute la réalité présentée par l’élu de la
nation, excuse les policiers et professe des leçons de citoyenneté remettant en cause la légitimité du
député à exercer sa charge.

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